Le premier roman de Bernanos, Sous le soleil de Satan, paraît en 1926. Au jeune Malraux qui lui fait part de son enthousiasme, Gide rétorque : «cette chose m’est contraire». C’est que «Bernanos mettait brutalement en question tout ce que “l’Europe la plus cultivée” pensait de la création romanesque», se souvient Malraux en 1974. Cette «heureuse négligence» des lois du roman a pu déconcerter : «Si l’on dit de Georges Bernanos qu’il fut le plus grand romancier de son temps, nul n’est surpris ; mais nul n’est convaincu». Elle est aussi ce qui confère à ses récits leur intemporalité.
Les romanciers français de l’entre-deux-guerres intéressent peu Bernanos. Il ne leur ressemble pas. S’il fallait l’inscrire dans une lignée, ce serait celle de Dostoïevski. Sombres, véhéments, paroxystiques, en un mot expressionnistes, ses romans sont des écrits de combat au même titre que ses essais. La complaisance n’est pas son fort. Il ne ménage rien ni personne, et surtout pas les tièdes. «Ô vous, qui ne connûtes jamais du monde que des couleurs et des sons sans substance, cœurs sensibles, bouches lyriques où l’âpre vérité fondrait comme une praline – petits cœurs, petites bouches – ceci n’est point pour vous» (Sous le soleil de Satan). La langue même est exigeante. Elle tire le lecteur du côté du sacré.
Le sacré, le surnaturel, la grâce, le mal ne sont pas des accessoires chez Bernanos. Ils sont au centre du projet romanesque. Et pourtant – Malraux l’agnostique en témoigne –, nul besoin de partager la foi de l’auteur pour être sensible au tragique du monde déchu qu'habitent ses personnages. Nous sommes parfois devenus aveugles, c’est vrai, à des allusions scripturaires qui étaient autrefois évidentes. Mais à cet aveuglement partiel les romans de Bernanos gagnent une imprévisibilité, une étrangeté qui conduisent, une fois encore, du côté de Dostoïevski. L’œuvre nous parle différemment, mais toujours aussi fortement.
Cette œuvre, l’heure est venue de la rééditer en ne négligeant rien des documents accessibles à qui sait les découvrir, et en n’hésitant pas à revenir sur des traditions éditoriales qui ont entraîné des habitudes de lecture. En 1934, une partie d’Un crime avait été refusée par Plon. On vient de retrouver le manuscrit écarté. Publié ici pour la première fois, il permet aussi d’établir un meilleur texte pour Un mauvais rêve, roman né du refus partiel d’Un crime et resté inédit du vivant de l’auteur. Autre ouvrage posthume, et célébrissime, Dialogues des carmélites : on en propose une édition qui fait clairement apparaître l’état du manuscrit laissé par Bernanos à sa mort (1948). Pour les romans publiés par l’écrivain, on est revenu aux particularités des éditions parues de son vivant, y compris pour Monsieur Ouine, jusqu’alors disponible dans une version augmentée en 1955 ; les pages ajoutées à cette date figurent désormais à leur place : en appendice – comme de nombreux autres documents, extraits de manuscrits, entretiens ou lettres. La voix qu'ils font entendre est la même que celle des romans (et des essais) ; Bernanos ne cherche pas à persuader son lecteur ou son interlocuteur : il veut le toucher. Il y parvient.
Le romancier des âmes libres
Sébastien Lapaque, Le Figaro Littéraire (29 octobre 2015)
« Lisez, diffusez, l'œuvre romanesque de Bernanos.»
Bernanos, profession de joie
Mathieu Lindon, Libération (24/25 octobre 2015)
« Personne ne croit qu'on doit avoir chassé la baleine pour apprécier Moby Dick ni être italien pour goûter la Chartreuse de Parme, mais c'est souvent comme s'il fallait être catholique pratiquant pour aimer Georges Bernanos- et ce préjugé coûte cher à de nombreux lecteurs qui passent à côté d'une œuvre majeure du XXe siècle dont la Pléiade publie en deux volumes la totalité des romans ainsi que les dialogues de Dialogues des carmélites.»
Un romancier du surnaturel, Bernanos
Littérature : Deux nouveaux tomes de la Pléiade offrent l'occasion de découvrir à la suite les sept romans de "l'écrivain catholique"
Pierre-Yves Le Priol, La Croix (15 octobre 2015)
« Ce qui frappe avec l'œuvre romanesque de Bernanos, c'est combien elle a parlé, toute pleine de sacré et de surnaturel qu'elle soit, à des personnalités incroyantes comme les écrivains Malraux ou Camus, les cinéastes Bresson ou Pialat, d'autres encore. Nul besoin de partager sa foi, à l'évidence, pour se montrer sensible au tragique du monde déchu qu'il nous décrit.»