La Pléaide

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Jules Verne
L'actualité de la Pléiade

« Pourquoi j’ai écrit Seconde patrie », extraits.

Mai 2024

    Les Robinsons ont été les livres de mon enfance, et j’en ai gardé un impérissable souvenir. Les fréquentes lectures que j’en ai faites n’ont pu que l’affermir dans mon esprit. Et même je n’ai jamais retrouvé plus tard, dans d’autres lectures modernes, l’impression de mon premier âge. Que mon goût pour ce genre d’aventures m’ait instinctivement engagé sur la voie que je devais suivre un jour, cela n’est point douteux. C’est ce qui m’a porté à écrire L’École des Robinsons, L’Île mystérieuse, Deux ans de vacances, dont les héros sont proches parents des héros de de Foë et de Wyss. Aussi personne ne sera-t-il surpris que je me sois voué tout entier à cette œuvre des Voyages extraordinaires.
    Les titres des ouvrages que je lisais avec tant d’avidité me reviennent à la mémoire : c’étaient le Robinson de douze ans, de Mme Mollar de Beaulieu, Le Robinson des sables du désert, de Mme de Mirval. C’étaient aussi dans le même ordre d’idées les Aventures de Robert Robert de Louis Desnoyers que publiait le Journal des enfants avec tant d’autres histoires que je ne saurais oublier. Puis vint le Robinson Crusoë, ce chef-d’oeuvre qui n’est pourtant qu’un épisode dans le long et fastidieux récit de Daniel de Foë. Enfin, Le Cratère de Fenimore Cooper ne put qu’accroître ma passion pour ces héros des îles inconnues de l’Atlantique ou du Pacifique.
    Mais la géniale imagination de Daniel de Foë n’avait créé que l’homme seul abandonné sur une terre déserte, capable de se suffire grâce à son intelligence, son ingéniosité, son savoir, grâce également à sa confiance en Dieu si persistante, et qui lui inspirait parfois quelque magnifique invocation.
    Or, après l’être humain isolé dans ces conditions, est-ce qu’il n’y avait pas la famille à faire, la famille jetée sur une côte après naufrage, la famille étroitement unie, la famille ne désespérant
pas de la Providence ? Oui, et telle a été l’œuvre de Wyss, non moins durable que celle de Daniel de Foë.
    […] ce roman n’est pas terminé avec l’arrivée de la corvette la Licorne, et voici ce que disait déjà Mme de Montolieu dans la préface de sa traduction :
    « Quatre éditions consécutives ont prouvé combien le public français a su apprécier cette production qui fait le bonheur des enfants et par conséquent de leurs parents. Mais il leur manquait une suite et une fin. Tous voulaient savoir si cette famille qui les intéressait restait dans cette île où tous les jeunes garçons désiraient aller. […] »
    […] Aussi n’ai-je pas résisté au désir de continuer l’œuvre de Wyss, de lui donner le dénouement définitif, qui, d’ailleurs, serait imaginé un jour ou l’autre.
    Et alors, à force d’y songer, à force de m’enfoncer dans mon projet, de vivre côte à côte avec mes héros, il s’est produit un phénomène : c’est que j’en suis venu à croire qu’elle existe réellement, cette Nouvelle-Suisse, que c’est bien une île située dans le nord-est de l’océan Indien, dont j’ai fini par voir le gisement sur ma carte, que les familles Zermatt et Wolston ne sont point imaginaires, qu’elles habitent cette très prospère colonie, dont elles ont fait leur « Seconde patrie » !… Et je n’ai qu’un regret, c’est que l’âge m’interdise de les y rejoindre !…
    Enfin, voilà pourquoi j’ai cru qu’il fallait continuer leur histoire jusqu’au bout, voilà pourquoi j’ai fait la suite du Robinson suisse.

Édition publiée sous la direction de Jean-Luc Steinmetz, avec la collaboration de Jacques-Remi Dahan, Marie-Hélène Huet et Henri Scepi.

Ce volume contient : préface, note sur la présente édition. L’École des Robinsons, Deux ans de vacances, Seconde patrie. Notices et notes. 218 illustrations. – N° 670 de la collection.

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