Hegel voyait en lui un « héros » ; Valéry, un « grand capitaine de l’esprit » ; Péguy, « ce cavalier français qui partit d’un si bon pas ». Il reste que chevaucher avec Descartes, c’est parfois cheminer parmi les idées reçues. Descartes serait le seul philosophe français, le philosophe de la France, la France même. Les Français, d’ailleurs, seraient « cartésiens par nature » : le cartésianisme ferait partie de leur identité.
Certains lieux communs ont un fond de vérité. Quand Hegel définit Descartes comme « le véritable fondateur de la philosophie moderne », il omet de préciser que d’autres que lui ont remis en question les méthodes héritées d’Aristote, mais il dit quelque chose de la volonté de Descartes de bâtir une nouvelle philosophie qui fût parfaitement claire, assurée dans ses fondements, moins spéculative que pratique, et réellement utile au genre humain. Car il y eut bien une « révolution cartésienne » du savoir, un nouveau départ. Descartes s’impose comme le premier philosophe de son temps, et sa pensée marque chaque époque depuis lors. Elle s’exprime au fil d’une œuvre très diverse, entre réflexions sur la méthode et analyse des passions humaines, méditations sur la nature divine et travaux mathématiques, exposés du système de l’univers et répliques à des pamphlets, sans oublier des lettres de première importance, travaillées comme des écrits de cour.
L’ensemble gravite autour de quatre grands livres : le Discours de la méthode (1637), suivi des essais scientifiques auxquels il devait servir de préface (et dont on propose ici des extraits) ; les Méditations de philosophie première (1641-1642), ou Méditations métaphysiques (1647), avec sept séries de Réponses aux Objections recueillies auprès de « personnes très doctes » ; Les Principes de la philosophie de 1644 ; et, quelques semaines avant la mort de l’auteur, le traité des Passions de l’âme (1649).
Deux autres ouvrages – la Lettre à Voetius et les Notes sur un certain placard, retraduites du latin pour cette édition – s’inscrivent dans le contexte des querelles qu’a suscitées le développement de la « nouvelle philosophie ». Figurent en outre au sommaire des écrits posthumes aussi importants que célèbres, les Règles pour la direction de l’esprit, Le Monde, L’Homme, La Recherche de la vérité, La Description du corps humain, ainsi qu’un large choix de correspondance, indispensable complément des œuvres et source de précieux aperçus sur la vie sociale de Descartes.
Rassemblés dans l’espace de deux volumes, ces textes offrent de la personnalité intellectuelle de Descartes, de son entreprise philosophique et de ce qu’on doit appeler son action une image à la fois renouvelée et rééquilibrée, loin des caricatures auxquelles elle a pu donner lieu.