La Pléaide

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Céline. Photo Marc Garanger. Copyright Gallimard
Céline. Manuscrit autographe
Céline. Manuscrit autographe
Céline. Manuscrit autographe
L'histoire de la Pléiade

Hic et nunc ! Louis-Ferdinand Céline, Claude Gallimard et la Pléiade

La lettre de la Pléiade n° 41
septembre-octobre 2010

Dans le prolongement de l’édition de la Correspondance de Céline dans la Pléiade, voici deux lettres inédites de l’auteur de Mort à crédit adressées à Claude Gallimard. Ces feuillets ont été retrouvés récemment dans les archives de l’éditeur, au sein d’une liasse de correspondances diverses. On y retrouve la tonalité si singulière des correspondances de Céline, et particulièrement des Lettres à la NRF, modèles du genre, publiées par Pascal Fouché (Gallimard, 1991), et dont un choix est proposé dans le volume de la Pléiade établi par Henri Godard et Jean-Paul Louis.

L’un des grands sujets de cette correspondance, on s’en souvient, est celui de la reprise des œuvres de l’auteur dans le Livre de poche (Folio n’est créée qu’en 1971) et dans la Pléiade. La question de la Pléiade est évoquée pour la première fois par Destouches dans une lettre d’avril 1951, avant même qu’il ne signe le contrat qui le lie à Gallimard pour la réédition de ses œuvres et la publication de Féérie pour une autre fois (18 juillet 1951). Au vrai, il n’est pas d’auteur qui ait signifié avec autant de constance aux Gallimard son souhait de figurer dans la collection ; à partir de 1955, « sa demande est lancinante, coriace » (Sollers). Elle tourne à l’obsession. C’est que Céline craint de n’y jamais entrer s’il n’obtient pas satisfaction de son vivant. La Pléiade offre une garantie pour l’avenir. Elle lui assure que son œuvre ne tombera pas dans l’oubli, qu’elle ne sera pas effacée, étouffée, dissimulée par ceux qui trouverait intérêt à son extinction. Gide, Claudel, Malraux et Montherlant figurent déjà au catalogue de la collection ; pourquoi pas lui... juste une ligne de plus « entre Bergson [sic ] et Cervantès » ? Et Gaston Gallimard... lui aussi pourrait bien retourner sa veste au lendemain de sa disparition. Qui sait ? Aussi, cette Pléiade, il la veut hic et nunc : « La Pléiade et l’édition de poche pas dans vingt ans, quand je serai mort ! non ! tout de suite ! cash ! » (24 octobre 1956). On notera au passage que dans l’esprit de Céline, le poche et la Pléiade font la paire, comme s’il s’agissait de s’assurer de la sorte une double postérité par des voies parallèles.
Mais Gaston temporise. Il se dégage. Aux relances innombrables de son auteur, il répond chiffres, enquêtes sur le terrain, souscriptions préalables de libraires, avis favorable du diffuseur exclusif Hachette... Céline n’est pas dupe qui reproche ses hésitations et palinodies à ce « sacré coffre-fort qui fait bla bla » : « Les vieillards, vous le savez, ont leurs manies. Les miennes sont d’être publié dans la Pléiade (Collection Schiffrin) et édité dans votre collection de poche [...] Je n’aurais de cesse, vingt fois que je vous le demande. Ne me réfutez pas que votre Conseil, etc. etc... tout alibis, comparses, employés de votre ministère [...] C’est vous la Décision. »
Céline obtient pourtant gain de cause, en mettant dans la balance la signature de son contrat pour Nord. Roger Nimier, qui est devenu, après Jean Paulhan, son principal interlocuteur à la NRF, lui apprend en avril 1959 que la décision est prise par Gaston et Claude Gallimard de programmer ses Romans dans la collection. Un contrat est signé en juin. Céline jubile... mais déchante aussitôt. Car le volume, à ses yeux, tarde à paraître... Qu’attend-on à la NRF ? Quel tour pendable essaie-t-on encore de lui jouer ? Et voilà Céline qui reprend ses lamentations, harcèle le directeur de fabrication, provoque Gaston, interpelle Claude, supplie Nimier.
Ces deux lettres ajoutent un couple au cortège de demandes, où se mêlent l’excès et le pathétique, la lucidité et le fantasme – mais où se manifeste ce goût de la vie par-delà la vie même, en quoi peut se définir la création littéraire. La Pléiade ne sortira des presses qu’en février 1962, sept mois après la disparition de Céline... lequel voyait juste lorsque, le 4 février 1960, il écrivait à son éditeur et, somme toute, ami : « Je risque fort d’être décédé avant d’être Pléiadé. » Mais on tiendra parole... jusqu’à donner à l’œuvre de Céline une diffusion à sa mesure : ici et maintenant, mais pour toujours.

■ À Claude Gallimard

Le 3 avril 61

Mon cher ami
Voici le contrat signé1 ; mais Dieu comme les termes sans doute très fouillés juridiquement en sont désagréables ! Il doit être possible de faire tout aussi valable et moins affreux. Que tout ceci est aux antipodes du seul esprit après tout qui compte : CRÉER...
Enfin ! je me permets de vous relancer pour la Pléïade qui m’a semblée bien roupilleuse, Bernanos2 diable pouvant attendre il a l’Éternité pour lui plus le Bon Dieu, moi qui n’ai ni l’un ni l’autre je trouve le temps long3.
Votre fidèle ami
LF Céline

Dr L.-F. Destouches
25ter, route des Gardes
Meudon (S. & O.)

■ À Claude Gallimard

20 4 [20 avril 1960 ou 1961]

Voyez-vous bien cher ami je vois venir la Pentecôte c’est-à-dire la Toussaint, mais pas du tout ma Pléïade, dont on a tant parlé... remis... remis... Mondor4 ne va pas bien, vous le savez... je ne sais quel Gallimard s’occupe de cet ouvrage mais sûr il est en voyage, en vacances, ou en comité. Qu’en pensez-vous bien cher ami ? Votre Bien attentif et dévoué
LF Destouches

1. Il s’agit du contrat pour l’édition dans le Livre de poche D’un château l’autre, adressé par Claude Gallimard à Céline le 30 mars 1961
2. Les Œuvres romanesques de Bernanos, mort en 1948, sont achevées d’imprimer le 19 décembre 1961.
3. Céline écrivait déjà à Gaston Gallimard le 22 septembre 1960 : « J’aurais aimé à passer avant Bernanos, mort, que rien ne hâte, et Montherlant gavé de tous les honneurs... »
4. Henri Mondor, chirurgien, critique et écrivain, est l’auteur de la préface du volume de la Pléiade. Il en a remis le manuscrit fin janvier 1960. Il meurt en avril 1962, quelques semaines après la sortie des presses de l’ouvrage.