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Georges Forestier

Molière : de l’édition à la biographie. Entretien avec Georges Forestier

14 novembre 2018

Vient de paraître dans la collection « NRF Biographies » une biographie de Molière par Georges Forestier, lequel n’est autre que l’éditeur des Œuvres complètes du même Molière à la Pléiade. Démarche nouvelle, ou approfondissement d’une méthode déjà ancienne ? La Pléiade a posé la question à Georges Forestier.

La Pléiade : Georges Forestier, nos lecteurs vous connaissent pour deux éditions qui ont fait date, deux éditions d’auteurs du XVIIe siècle qui étaient aussi deux hommes de théâtre : Racine, dont vous avez publié en 1999 le Théâtre et la Poésie (tome I des Œuvres complètes), et Molière, dont vous avez dirigé les deux volumes d’Œuvres complètes parus en 2010. Mais vous ne vous en êtes pas tenu là. Dans les deux cas, vous avez fait suivre vos éditions de travaux biographiques : votre biographie de Racine a été publiée en 2006, et voici que paraît celle de Molière. La démarche n’est pas si banale. Il y a certes des précédents – des éditeurs de textes devenant les biographes de « leurs » auteurs –, mais, pour beaucoup d’éditeurs, la confrontation avec l’œuvre, l’établissement ligne à ligne d’un texte littéraire, est une fin en soi. En ce qui vous concerne, pour deux des auteurs les plus importants du Grand Siècle, vous avez éprouvé la nécessité d’assurer ce que Claude David, qui fut le premier éditeur de Kafka dans la Pléiade (et aussi son biographe), appelait « la coïncidence parfaite entre le vécu et l’expression littéraire » : une position qui fait songer à Sainte-Beuve plutôt qu’à Proust pour qui, rappelons-le, « un livre est un produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, et dans nos vices ». Qu’en est-il pour Molière ? Ses pièces ne sont-elles pas le produit d’un autre moi que celui qu’il manifestait dans sa vie ?

Georges Forestier : C’est peut-être vrai, mais on ne connaît pas le Molière intime. Sa correspondance a disparu. On ignore le rapport entre son moi profond – ce qu’il a pu penser en tant qu’homme – et son moi d’écrivain. Jusqu’à présent, ceux qui ont raconté sa vie ont plus ou moins cherché à puiser dans les œuvres de quoi expliquer l’homme. On a vu en Molière l’homme qui a écrit un Malade imaginaire parce qu’il était malade depuis longtemps, ou qui a écrit Le Misanthrope parce qu’il était malheureux en amour. Pourtant, lorsqu’on reprend le dossier du Misanthrope, on s’aperçoit que, du vivant de Molière, il n’est jamais question de l’éventuelle infidélité d’Armande Béjart : cela apparaît seulement dans des pamphlets et récits diffamatoires postérieurs à sa mort (1673) et dans lesquels sont exploités d’une part les calomnies qui traînaient depuis le début du XVIIe sur le métier de comédienne professionnelle, d’autre part le texte même des pièces de Molière. Ainsi dans un roman anonyme intitulé La Fameuse Comédienne et paru en 1687, l’auteur prête à son Molière fictif de douloureux épanchements jaloux, en apparence criants de vérité mais en fait décalqués des vers prononcés par l’Alceste du Misanthrope. Et il en va de même pour Le Malade imaginaire. Quand on travaille de première main sur la question, on voit que Molière n’a jamais été décrit comme un homme malade, sauf à deux reprises : il est absent de la scène quelques jours ou quelques semaines en février 1666 et de nouveau au printemps 1667, au moment où, dans les deux cas, sévissent des épidémies de fièvre. Et puis plus rien. Il est constamment sous les yeux des gazetiers – les ancêtres de notre presse people –, mais il n’est jamais décrit par eux comme malade. Il meurt d’une infection pulmonaire qui a tué beaucoup de Parisiens en février 1673. À partir de là, ce qui est intéressant, c’est de chercher à savoir pour quelles raisons, qui ne sont donc pas des raisons intimes, Molière a écrit Le Misanthrope et Le Malade imaginaire. Il faut réfléchir aux motifs qui ont pu pousser un homme de théâtre à la fois acteur et auteur à écrire ces pièces-là. C’est pourquoi, dès l’établissement de l’édition des Œuvres complètes, j’ai éprouvé la nécessité de comprendre qui était Molière à ces moments-là de sa vie et de sa carrière, et cela m’a conduit à
retracer son parcours d’homme de théâtre, d’écrivain et, pour autant qu’on puisse le discerner, son parcours d’homme.

La Pléiade : Est-ce qu’il ne vous semble pas que cette démarche, que vous avez également appliquée à Racine, est liée au fait que ces auteurs ne sont pas « simplement » des écrivains : ce sont, dans des conditions différentes pour l’un et pour l’autre, des auteurs de théâtre. Or le théâtre est un art collectif ; vous en parlez comme « d’une éphémère rencontre entre un texte, la voix et le jeu des comédiens, les costumes et les décors, et même dans certains cas les machines, la danse et la musique ». Est-ce que dans ces conditions, alors que vos « sujets », les auteurs, ne montent pas leurs pièces tout seuls, la biographie ne pèse pas d’un poids plus considérable que pour un romancier qui peut très bien, comme Proust, travailler au fond de son lit sans voir personne, même si son œuvre est nourrie et surnourrie de ce qu’il a vu et entendu dans sa vie. Le mystère de la création n’est peut-être pas tout à fait le même dans un cas et dans l’autre.

Georges Forestier : Distinguons les situations. Quand en 1667 Molière écrit une pièce aussi travaillée qu’Amphitryon, il se met trois mois en congé de son théâtre et de la cour, parce qu’il est fâché qu’on ait interdit pour la deuxième fois son Tartuffe devenu L’Imposteur ; il a obtenu du roi la possibilité d’aller bouder à Auteuil, chez lui, et de travailler à un nouveau spectacle dans lequel il raconterait encore une histoire d’imposture, mais d’imposture galante : Amphitryon. Il travaille alors dans le secret de son cabinet, avec Plaute à portée de main, avec Les Sosies de Rotrou sous les yeux – bref, il fait œuvre d’écrivain. De même d’ailleurs pour L’Amour médecin : il possède les œuvres de La Framboisière, qui a écrit une somme sur la médecine de son temps, et il en utilise et démarque certains passages pour rédiger des répliques, comme il le fait dans Monsieur de Pourceaugnac où certaines formules des médecins sortent aussi de La Framboisière. Voilà des travaux de cabinet : lecture et écriture.
Pourtant, le plus souvent, il conçoit ses pièces en fonction des acteurs pour lesquels il écrit, et en fonction d’un acteur principal – lui-même – pour lequel et grâce auquel il révolutionne l’esthétique comique de son temps. C’est le fait même qu’il est un acteur exceptionnel qui le conduit à modifier la structure et jusqu’au fonctionnement de la comédie. Dans une pièce comme Les Fâcheux, il joue cinq rôles, si bien qu’à l’époque on ne va pas voir la pièce pour plaindre le pauvre Éraste assailli par les fâcheux – presque tous joués par Molière ! –, mais pour jouir d’un extraordinaire numéro d’acteur. Et cette dimension – Molière comédien – pèse d’un poids considérable sur l’écriture comme sur le succès des pièces de Molière écrivain.

La Pléiade : C’est une caractéristique de Molière que ne partage pas Racine : Racine ne monte pas sur son propre théâtre.

Georges Forestier : Racine est d’abord un homme de cabinet, un poète qui écrit des pièces de théâtre, de la « poésie dramatique ». Molière, lui, est un acteur. Il a eu une bonne éducation, en partie comparable à celle de Racine, si ce n’est que contrairement à lui il n’a pas été éduqué par les Messieurs de Port-Royal. Il est passé par le collège de Clermont, qui était le collège des Jésuites, puis il a fait deux ou trois années de droit à Orléans, avant d’abandonner et de se consacrer au métier d’acteur. Ce bain direct dans la pratique lui apporte une certaine distance vis-à-vis du savoir livresque, et cette distance explique pour une part son écriture théâtrale. Écrire une biographie de Molière m’a permis d’insister là-dessus : dans son écriture théâtrale, Molière n’est pas comme Corneille et Racine dans une position de révérence vis-à-vis de l’autorité doctorale et de la théorie. Pour écrire sa première grande pièce originale en cinq actes, L’École des femmes, il combine en une seule figure de jeune fille deux personnages féminins incompatibles, issus de deux récits différents – l’une est abrutie et ignorante, l’autre intelligente et rusée –, en d’autres termes il bricole quelque chose qui nous apparaît aujourd’hui comme tout à fait génial, et il fait avec cela une pièce d’un nouveau genre qui, évidemment, est attaquée par les doctes : comment peut-on faire une pièce qui n’est qu’une suite de récits, où il ne se passe rien ? Pour comprendre l’attitude irrévérencieuse de Molière vis-à-vis du savoir constitué, la biographie est essentielle.

La Pléiade : Il y aurait donc un bon et un mauvais usage du matériau biographique. Le mauvais consisterait à partir des pièces pour éclairer la vie de l’auteur, tandis que le bon serait d’utiliser ce que nous ont légué les contemporains de Molière, tous les documents disponibles, pour faire une nouvelle lecture de ses œuvres et mieux comprendre les raisons de leur émergence. Au demeurant, ce bon usage avait déjà cours dans les Pléiade parues en 2010, qui proposent un appareil critique particulièrement riche, et des documents et des appendices qui, déjà, étaient souvent de nature biographique. Par exemple, votre édition reproduit le Registre de La Grange, dans lequel ce comédien a recopié, après la mort de Molière, les registres journaliers de la troupe à partir de 1659, date de son entrée dans cette troupe. On connaît grâce à lui, au jour le jour, le programme, les prises de rôles, le remplissage de la salle, les recettes. Donner, dans une édition de textes, l’intégralité de ce registre jusqu’en 1685, c’était déjà faire place aux considérations biographiques. Et l’on pourrait faire la même remarque au sujet de l’inventaire après décès de Molière, qui figure dans l’édition non par « religion biographique », mais parce qu’il contient des informations qui rejaillissent sur la compréhension de l’œuvre.

Georges Forestier : Oui, on y trouve le détail des principaux costumes de scène, et aussi le contenu de la bibliothèque de Molière, qui nous apprend qu’il n’était pas un histrion ignorant…

La Pléiade : Il arrive que vos conclusions heurtent des idées reçues – par exemple à propos de Dom Juan, ou plutôt du Festin de Pierre puisque c’est sous ce titre qu’apparaît la pièce en 1665. Ce Festin de Pierre, qui passe pour l’une des grandes pièces de Molière, serait, à vous lire, le fruit de circonstances biographiques et matérielles : Molière aurait écrit sa pièce parce que son programme avait été bouleversé, et en fonction des décors dont il disposait !

Georges Forestier : Des raisons biographiques et matérielles, en effet. En mai 1664, Tartuffe est joué à la cour, devant le roi, qui applaudit. La pièce doit être créée à la ville en juin, mais elle est interdite pour des motifs de politique religieuse. Il y a donc un trou considérable dans les recettes attendues de la troupe. Celle-ci crée bien la première tragédie d’un inconnu, Racine, le 26 juin, mais cette Thébaïde ne suffit pas. Or il se trouve que les Comédiens Italiens, avec qui, en temps normal, la troupe de Molière partage la scène du Palais-Royal, mais qui repartent en Italie à la fin de l’été, jouaient depuis 1658 au moins, pour le carnaval, un Festin de Pierre qui avait toujours beaucoup de succès. L’initiative vient-elle de Molière ou de ses camarades ? Toujours est-il qu’à la fin de novembre 1664 on décide de profiter de l’absence des Italiens pour monter au théâtre du Palais- Royal un Festin de Pierre. Leur départ permet de reprendre ce sujet à succès, et de commander de très grands décors, de ceux qui attiraient le public : un par acte, et deux pour l’acte III, donc six décors en tout, et quinze châssis par décor, qui doivent rester en scène, ce qui n’aurait pas été possible s’il avait fallu alterner avec les Italiens. Ce sera d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle la pièce ne sera pas reprise après Pâques 1665 : elle n’a pas été « étouffée » par la censure, mais, d’une part, on ne reprenait jamais après le relâche de Pâques les pièces créées pour le carnaval, et d’autre part, les Italiens étant revenus, l’alternance avait repris, de sorte que les grands décors n’étaient plus utilisables.

La Pléiade : Et donc cette pièce, l’une des plus célèbres du théâtre français, est écrite pour « boucher un trou » dans les recettes et pour utiliser des décors commandés à l’avance… Voilà qui a un côté iconoclaste et va contre la définition romantique du génie !

Georges Forestier : Molière fait du Molière, comme à l’acte II où il est tenu par son décor maritimo-champêtre : tout en composant une véritable comédie parodique de la séduction galante, il fabrique une petite comédie à l’italienne (comme les Italiens il joue sur les patois et les niveaux de langue), il nous présente ainsi une sorte de comédie dell’arte à la française, et le résultat est génial.

La Pléiade : Autre exemple de circonstances biographiques, ou politiques, pesant sur l’œuvre littéraire, la question des dévots et des médecins. On continue à entendre dire que Molière s’attaque aux médecins parce qu’il a subi leurs méfaits, selon le même schéma qui veut qu’il crée des personnages de cocus parce que lui-même est trompé par sa femme. Ce sont des biographismes, nous en avons parlé. Mais vous défendez dès l’édition Pléiade, et de nouveau dans la biographie, une thèse toute différente : les médecins prennent toute leur dimension dans l’œuvre de Molière à partir du moment où celui-ci ne peut plus s’attaquer ouvertement aux dévots. C’est le tournant de 1664, avec le premier Tartuffe, que l’on n’a pas conservé, puisque, rappelons-le, ce que nous lisons aujourd’hui est un texte de 1669.

Georges Forestier : En 1669, Tartuffe n’est plus un dévot qui devient hypocrite pour masquer sa chute dans le péché, mais un faux dévot, qui revêt le masque du dévot pour s’introduire dans les familles, coucher avec les épouses, épouser les filles et dépouiller les fils. Dans la version en trois actes de 1664, que l’on peut reconstituer, c’était un dévot véritable, et le directeur de conscience de son hôte. C’est de cela que Molière faisait la satire : du besoin d’un directeur de conscience pour tout homme pieux, comme l’exigeait François de Sales dans son Introduction à la vie dévote, et de l’excès de dévotion qui gagnait alors une partie de la société française. Il se moquait de ce que l’un de ses adversaires a appelé le cœur de la religion catholique, et commettait en quelque sorte un «crime de lèse-majesté divine». Conséquence : il ne peut faire représenter sa pièce dans son théâtre. Il va donc s’employer à la transformer : elle deviendra en 1669 une dénonciation de l’hypocrisie en général et de la fausse dévotion. Molière produit ainsi une pièce en cinq actes considérée comme un chef-d’œuvre mais qui est aussi le fruit de contraintes liées, en l’occurrence, à la politique religieuse du roi.
En 1665, Louis XIV commande un divertissement à Molière et à Lully. Molière propose alors au roi une comédie de la médecine et des médecins, qui ridiculisera les débats qu’ils avaient autour des malades et qu’ils venaient d’avoir autour de la reine mère, Anne d’Autriche, qui souffrait d’un cancer. Ce sera L’Amour médecin, dans quoi tout – l’habit, le langage savant, les rites – suggère le rapprochement entre prêtres et médecins. Ce n’est pas pour rien que, six mois plus tôt, Sganarelle rendait clair le lien entre médecine et religion en déclarant à Don Juan : « Comment, monsieur, vous êtes aussi impie en médecine ? » Et ce ne sera pas un hasard si, en 1673, le Malade imaginaire, dévot de la médecine, s’appellera Argan, tandis que le héros de Tartuffe se nomme Orgon.

La Pléiade : Les éléments biographiques n’ont pas seulement des effets sur la manière dont vous lisez l’œuvre, mais aussi sur la façon dont nous la présentons. Dans votre introduction de 2010, vous soulignez l’appartenance de Molière au milieu galant et son adhésion aux préjugés de ce milieu, où l’on ne croit pas utile de publier ses œuvres, et encore moins de poser à l’auteur. Ce Molière galant n’est donc pas l’éditeur de ses pièces au sens où le sont Corneille ou Racine, qui ont tous deux établi plusieurs éditions de leurs œuvres. Ses deux premières comédies, on ne les connaît que d’après un manuscrit du XVIIIe publié au xixe; celles qui suivent immédiatement n’ont paru qu’en 1662 ou ne sont connues que par l’édition posthume de 1682. Comment savoir si elles sont fidèles au texte représenté par Molière ? C’est pourquoi, par souci d’authenticité, votre édition s’ouvre sur la première pièce publiée du vivant de Molière, en 1660, Les Précieuses ridicules. Ce sont les dates de publication qui sont prises en compte, ce qui nous fait rejeter en fin d’édition des pièces jouées très tôt, mais publiées très tard. Quel rapport le texte imprimé de La Jalousie du Barbouillé
entretient-il avec la version qui a été jouée ? Mystère.

Georges Forestier : Dans cet ordre d’idées, il faut rappeler que si l’on sait que l’édition de 1683 du Festin de Pierre est la plus proche de la version de la création en 1665, c’est seulement parce qu’on a la chance qu’existe un pamphlet dans lequel des personnes qui étaient présentes à la création critiquent des éléments qui ne figurent pas dans le texte de 1682 mais se retrouvent dans la version de 1683… Quant au Malade imaginaire, que nous donnons d’après sa première édition, celle de 1674, il est assez différent, pour les deux dernières scènes de l’acte I et pour l’acte III, de la version que tout le monde connaît, celle de 1682, qui a été « améliorée », parce que Molière est mort au soir de la quatrième représentation en laissant en chantier quelques passages qu’au fil des représentations suivantes il comptait perfectionner, ce qu’il n’a pas eu le temps de faire. Le texte publié en 1674 est donc un peu imparfait par endroits, mais il est authentique, et bien plus proche de la pièce représentée dans les derniers jours de la vie de Molière que ne l’est la « vulgate » de 1682.

La Pléiade : À propos d’authenticité… Il est naturellement question de Corneille dans votre biographie. Mais le lecteur y trouvera-t-il un chapitre sur « l’affaire Corneille », autrement dit sur « Corneille auteur des œuvres de Molière » ?

Georges Forestier : Je me contente d’expliquer que – il y a un siècle – quelques esprits enflammés ont mal interprété un séjour de Molière à Rouen, la ville de Corneille, sans savoir que toutes les troupes théâtrales de Paris allaient jouer à Rouen, qui était une plaque tournante du théâtre. Et si je reviens sur les rapports entre Corneille et Molière, c’est pour insister sur le fait qu’ils étaient en forte hostilité jusqu’à la montée en puissance de Racine : c’est alors seulement, à partir d’Attila (1667), que Corneille et la troupe de Molière ont collaboré. Non, Molière n’est pas à Corneille ce qu’Ajar est à Gary…

La Pléiade : On le comprend à vous entendre et à vous lire, vous sollicitez deux disciplines : l’histoire du théâtre et la critique littéraire. Il n’est pas si courant qu’un chercheur s’intéresse aux deux.

Georges Forestier : C’est pour ça que je me définis depuis longtemps non pas comme un critique littéraire mais comme un historien des formes dramatiques. Ce que j’ai fait, en écrivant les biographies de Racine puis de Molière, c’est d’essayer de comprendre comment ces hommes ont construit ces formes. L’histoire de la vie matérielle et intellectuelle de ces individus et l’histoire des formes me paraissent indissociables.

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