La Pléaide

1924

Depuis le début du printemps, André Breton se livre intensément à l’écriture automatique. Le 18 avril, il indique à sa femme qu’il songe à réunir en un volume les textes résultant de cette expérience et à leur donner une grande préface. Ce projet, que Léon-Pierre Quint, directeur littéraire des éditions du Sagittaire, va publier, verra le jour à l’automne d’une année bien remplie.

Il semble que la rédaction de la «grande préface» soit à peu près achevée à la fin de juillet. Mais une polémique s’est déclenchée autour du terme et de la notion de «surréalisme». La guerre des communiqués bat son plein, ce qui n’empêche pas Breton de concevoir une nouvelle revue, La Révolution surréaliste (dont le premier numéro paraîtra en décembre), de publier un appel en faveur d’André Malraux (le «voleur du temple d’Angkor» attend à Saigon son procès en appel), de rencontrer pour la première fois André Masson et de faire la connaissance d’un homme «beau comme une vague, sympathique comme une catastrophe»: Antonin Artaud.

À la mi-octobre, tout s’accélère. Le vendredi 10, rue de Grenelle, à deux pas du siège de la NRF, c’est l’ouverture du Bureau de recherches surréalistes. «Ce bureau s’emploie à recueillir par tous les moyens appropriés les communications relatives aux diverses formes qu’est susceptible de prendre l’activité inconsciente de l’esprit», déclare le communiqué. Le même jour, en première page des Nouvelles littéraires, Maurice Martin du Gard consacre un important article à Breton: «une des figures les plus attrayantes» de sa génération, «un mage», peut-être «un peu mage d’Épinal»… Un cadavre, pamphlet collectif dirigé contre Anatole France (qui est mort le 12) est achevé d’imprimer le 18. Quant à la «grande préface», elle a été achevée d’imprimer le 15 sur les presses de Sainte-Catherine, à Bruges.

Mais la préface n’en est plus une. Cette indication, «Préface», figure, biffée, sur le manuscrit. Sur les épreuves, «Préface» réapparaît, bientôt remplacé par «Introduction au surréalisme», puis ces deux intitulés sont rayés, et l’auteur leur substitue le titre définitif: Manifeste du surréalisme. Le Manifeste est suivi de Poisson soluble, c’est-à-dire du recueil des écritures automatiques. La réflexion théorique, qui ne devait être qu’un avant-propos, a pris le pas sur ce que Breton nomme désormais les «historiettes» de Poisson soluble.

Le livre manifeste l’existence d’un groupe d’individus, au premier rang duquel figurent les proches collaborateurs de Breton: Aragon, Péret, Desnos, Soupault, Éluard, etc. Il établit également la généalogie du surréalisme: Sade, Swift, Edgar Poe, Baudelaire, Rimbaud font partie des grands ancêtres — ainsi que Dante et, «dans ses meilleurs jours», Shakespeare. Et Breton, à la manière d’un lexicographe, fourbit une définition: «surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.»

L’importance du Manifeste n’est pas reconnue d’emblée. À la NRF, Jean Cassou voit dans le surréalisme l’«étrange prolongement d’une crise d’adolescence». Tristan Tzara est franchement hostile: «La merde, c’est du surréalisme; le surréalisme, c’est l’odeur de la merde.» De grands écrivains, toutefois, visent plus haut et voient plus loin. Ainsi Henri Michaux qui, en janvier 1925, terminera son article (un peu réservé) du Disque vert sur une note positive: «Les écrits surréalistes travaillés après coup, cela donnera sans doute des œuvres admirables.»